A family history blog in French and English

Sanford-Springvale, Maine, Railroad Station, early 1900s. Collections of the Sanford-Springvale Historical Society.

Sunday, March 6, 2022

Petite valise, grandes découvertes : Quand l’anecdote se fait histoire

Note d'introduction

Il y a environ une année, j'ai été agréablement surpris d'apprendre l'existence d'un article dans la revue La Mémoire de la Société d'histoire et généalogie des Pays-d'en-Haut de Saint-Sauveur, Québec. D'abord, l'article est venu à mon attention par mon amie Suzanne Demers, une membre de la société qui m'avait souvent aidé avec le blogue. Lorsqu'elle a lu l'article, elle a été fort surprise, tout comme moi. 

Plusieurs jours plus tard, j'ai reçu des courriels de Francine Chassé, la vice-présidente de la société et le responsable du comité du patrimoine, et de Doris Poirier, l'auteure de l'article, pour m'informer de l'article, et pour m'envoyer une copie de la revue. Plus tard, Francine et Doris m'ont permis de publier dans le blogue une version légèrement adaptée en français, et ma traduction anglaise, ainsi que les images. Merci à vous deux !

En lisant l'article, vous comprendrez pourquoi j'ai eu une si belle surprise quand j'ai vu ce que Doris avait écrit.

Dennis Doiron, Gardiner, Maine, Mars 2022

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Petite valise, grandes découvertes

Quand l’anecdote se fait histoire

Par Doris Poirier, dans

La revue LA MÉMOIRE, Novembre 2020, No 155, p.16-19.

Société d’histoire et de généalogie des Pays-d’en-Haut (SHGPH). 

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Avant propos

Lorsqu’on a la chance d’avoir, dans notre famille, l’histoire d’une tranche de vie familiale sous forme de journal, nous avons une véritable chance. De nombreux québécois ayant émigré aux États-Unis à la fin du 19e siècle, gardaient de forts liens avec la famille “restée là-bas“ et allaient les visiter de temps en temps, peu importe leur région de provenance au Québec. Le journal relève de l'ethnologie et de l’histoire sociale. C’est un patrimoine familial indéniable, et un peu l’histoire de plusieurs d’entre nous.

Francine Chassé, Vice-Présidente, SHGPH, Saint-Saveur, Québec

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Laissez-moi vous raconter une anecdote qui m’a permis de découvrir des liens familiaux insoupçonnés avec une famille américaine. Il s’agit de la famille de mon mari, Poirier par le père et Demers par la mère. Ses deux grands-pères sont des pionniers ayant participé activement au développement du village de La Doré au Lac St-Jean. Le grand-père paternel Henry Poirier est arrivé en 1889 avec un groupe de colons, dans le but de fonder une nouvelle colonie au nord du Lac St-Jean. 

Le moulin des Pionniers

Le grand-père maternel Télesphore Demers est arrivé à La Doré en 1904. Il était originaire de St-Hilaire-de-Dorset dans la région de Chaudière-Appalaches. Il venait d’acheter un moulin à scie actionné grâce à un petit barrage sur la Rivière aux Saumons à La Doré. Il construisit une maison et fit venir sa famille qui comprenait son épouse, Démerise Létourneau et trois enfants en bas âge dont la petite Marie-Laure, la mère de mon mari, qui n’avait que 4 mois. 

Télesphore Demers et Démerise Letourneau, les parents de Marie-Laure.

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Ce moulin avait été construit en 1889 et il a fonctionné et fait vivre les familles successives qui en furent propriétaires jusqu’en 1976, alors qu’il était toujours la propriété d’un membre de la famille de mon mari, son frère Raymond Poirier. Le moulin est aujourd’hui la propriété d’un organisme sans but lucratif qui en a fait un lieu touristique et patrimonial connu sous le nom de Moulin des Pionniers à La Doré. Je vous invite à consulter le site sur internet, ça vous donnera sans doute le goût d'aller le visiter. On y mentionne qu'il s’agirait du dernier moulin à scie ancestral en fonction au Québec

Tout cela pour vous dire que mon beau-frère Raymond, ayant été le dernier propriétaire du moulin, a également été le dernier propriétaire de la famille, avec son épouse, de la grande maison familiale construite par son grand-père maternel en 1904. Cette maison a vu se succéder quatre générations de Poirier-Demers et elle est toujours en fonction avec d'autres propriétaires. En effet, lors du décès de son père en 1968, Raymond est devenu propriétaire de la maison familiale. De plus, il a hébergé sa mère devenue veuve. 

Donc son épouse, ma belle-sœur Lucienne, descendante d’un des fondateurs de La Doré, elle aussi, a vécu plusieurs années avec sa belle-mère qui possédait les archives de la famille Poirier-Demers. Dans leur grande sagesse à toutes les deux, elles ont fait le tour des anciennes photos et des documents et ma belle-sœur a noté ce que lui rapportait sa belle-mère en identifiant les personnes, les lieux et les circonstances des photos et documents. Lors de la récente vente de la maison familiale, en 2017, ma belle-sœur m’a remis une valise remplie de ces archives et m’a demandé d’en être la gardienne et d’en faire bon usage. Elle savait que je m'intéressais à l’histoire et à la généalogie.

Moulin à scie des Pionniers de La Doré au Lac-Saint-Jean aujourd'hui. 

Fermé en 1976, il est encore reconnu comme édifice patrimonial. 

Site internet: https://saguenaylacsaintjean.ca/attrait/quoi-faire/moulin-des-pionniers-de-la-dore.

(Photo: Répertoire du patrimoine culturel du Québec)

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La valise bleue et son contenu 

Je salue l'initiative de ma belle-mère et de ma belle-sœur pour rappeler que les “ vieux” sont de véritables bibliothèques ambulantes. Il faut les questionner, les écouter et prendre des notes si on ne veut pas que notre histoire disparaisse avec eux. J’emploie le mot “vieux” en sachant très bien que je vais faire sursauter les bien-pensants de la rectitude politique qui sont de tous les combats pour tuer les mots. Il faut continuer à employer le mot “vieux” et le prononcer avec tout le respect qu’il mérite. Je peux me permettre ce commentaire puisque j’ai moi-même rejoint le club.

Fermons la parenthèse et revenons à ma petite valise bleue. J’ai donc commencé à prendre connaissance du contenu de la valise, soit de nombreuses photos anciennes et des documents de tout genre. Un document a très rapidement attiré mon attention. Il s’agit de la copie d’un livre de notes de voyage qui débute le 21 juin 1898 pour se terminer le 12 juillet 1898 écrit par Odélie Demers. Il est constitué de 75 pages d’un petit cahier d’écolier ligné, comme on utilisait à l’époque. La calligraphie est remarquablement belle et soignée et les fautes de français sont très rares.

Pour bien vous situer, il faut savoir qu’Odélie était la cousine du grand-père Demers de mon mari. Elle habitait à Sanford, Maine, aux États-Unis. Son père y avait émigré avec son épouse et ses neuf enfants en 1890 pour aller travailler dans les manufactures. On parle ici de l’époque du grand exode des canadiens-français ayant ainsi quitté leur terre natale pour des raisons économiques. 

Marriage d'Odélie Demers (28 ans) et Napoléon Dubois (35 ans) 

le 3 janvier 1900 à Sanford, Maine.

(Photo: auteur inconnu)

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Le voyage d’Odélie Demers puis, celui de son père

Revenons au récit de voyage d’Odélie. Elle y décrit quotidiennement un voyage au Canada qu’elle fait avec sa sœur Éva dans le but de retourner voir la parenté et les amis du Canada qu’elles ont quittés huit ans plus tôt. Quand elles ont quitté le Québec, elles habitaient à St-Fortunat dans l’Estrie. Odélie y avait enseigné dans une école de rang lorsqu' elle était jeune fille. À l’époque de son voyage au Canada, elle a 27 ans.

Le récit est rempli de détails qui nous renseignent sur la vie quotidienne des gens de l’époque. C’est émouvant à lire et ça me semblait précieux comme valeur historique. Je décide donc d’en parler à notre vice-présidente et responsable du comité patrimoine, Mme Francine Chassé. Elle se montre intéressée et veut le consulter. C’est avec plaisir que je lui en remets une copie. 

Francine lit ce document avec grand intérêt. Comme elle veut en savoir davantage au sujet de la ville de Sanford USA, elle lance une recherche sur internet. Qu’elle ne fut pas sa surprise de voir apparaître un blog intitulé notes-devoyagequebec.blogspot.com. En consultant ce blog elle retrouve l’intégral de notre carnet de voyage, de même que l’intégral d’un autre carnet du père d’Odélie Demers, qui lui aussi se nomme Télesphore Demers. 

Son voyage se situe en 1908. Il y relate quotidiennement un voyage au Québec effectué avec sa femme du 4 juin au 5 octobre 1908. Le récit comprend 121 pages sur cahier ligné. Le père d’Odélie se rend même à La Doré au Lac St-Jean où il séjourne plusieurs jours chez son fils qui y a ouvert un magasin général. 

Il y décrit fidèlement la vie quotidienne et les gens qu’il rencontre. À plusieurs reprises il se rend chez le grand-père de mon mari (l’autre Télesphore Demers), son neveu, qui est propriétaire du moulin. L’auteur de ce blog, M. Dennis Doiron est un descendant de cette famille Demers. Quelle agréable surprise pour notre famille. 

Après avoir consulté le blog de Monsieur Doiron, je fouille un peu plus dans ma valise, et je découvre que nous possédons également une copie d’une partie du récit de voyage du père d’Odélie, soit la partie où il a séjourné chez son fils à La Doré. Mais ça ne s’arrête pas là. Sur le blog en question, il y a une adresse courriel pour rejoindre M. Doiron. 

Je lui écris donc pour lui relater tout cela au début du mois de mars 2020. Il est très heureux et me dit qu’il planifie un voyage au Québec où il souhaite se rendre à La Doré au printemps pour y connaître les lieux et les descendants de la famille Demers. Entre-temps arrive la pandémie. 

J’imagine qu’avec ce que nous vivons, ce projet n’est pas possible maintenant, mais je souhaite que ce ne soit que partie remise. Nous pourrions lui servir de guide, puisqu'une partie importante de la famille Poirier-Demers habite toujours à La Doré et dans la région.

Sur son blog, Monsieur Doiron nous explique que son ancêtre Télesphore avait été en mesure de rédiger son récit de voyage parce qu' il était scolarisé, ce qui était rare à l'époque, pour un fils de fermier. Il avait fait sa 4e année dans une école de rang. Il écrivit souvent au son. 

C’est donc sa fille Odélie qui a mis au propre son récit de voyage qui donne 121 pages de petit cahier ligné. Effectivement, quand je compare les copies que nous avons, il s’agit de la même écriture soignée dans les deux récits. 

À mon sens, ce fait illustre bien, ce dont plusieurs historiens nous ont parlé, soit la préoccupation bien ancrée chez les canadiens-français du devoir de survivance, de sauvegarde de l’identité collective française en terre d’Amérique. 

Nos ancêtres se faisaient un devoir de transmettre leur histoire et leurs expériences à leurs descendants. Selon certains historiens, ce sentiment existait depuis la conquête, mais était devenu plus intense après la rébellion des Patriotes et le rapport Durham. Peut-on parler de peur de disparaître comme peuple de culture et de langue française en terre d'Amérique? Disons simplement que la bataille est toujours d’actualité.

Afin de vous faire apprécier la saveur et la richesse historique de ces deux récits, j’en citerai quelques extraits en y ajoutant mes commentaires. Commençons par le récit d’Odélie à l’été 1898. Elle et sa sœur Éva sont en visite chez un oncle à Saint-Samuel-de-Gayhurst, maintenant Lac-Drolet. Elle relate qu’elles ont passé une partie de l’avant-midi sur un lac en chaloupe avec leur oncle et leurs cousines. Elle continue ainsi: 

À notre retour à la maison nous trouvâmes le dîner prêt et nous mangeâmes avec bon appétit tout en se proposant une excursion pour l’après midi (sic). Vers une heure nous sommes allées cueillir des fraises sur la propriété de Mr (sic) Théberge nous sommes revenues à quatre heures avec une bonne provision la cueillette avait été excellente.

Dans cette citation je remarque deux informations. Premièrement, la maman n’allait pas se promener en chaloupe en avant-midi. Elle cuisinait le repas, ce qui était tout à fait normal. Tenir maison et nourrir la famille était un travail à temps plein. Deuxièmement, pour les familles vivant à la campagne, la cueillette des petits fruits sauvages représentait une activité importante visant à faire les réserves de confitures pour l’hiver. Mais c’était également une activité de plein air en famille et entre amis qui était souvent accompagnée d’un pique-nique. 

Voici une autre citation qui arrache le cœur. Elle nous parle de “la relevée” du vieux cimetière de St-Fortunat visant à transférer les tombes dans le nouveau cimetière. Voici ce qu’elle écrit:

En ouvrant le cercueil de Cyrille Noël, ils ont remarqué qu’il était tourné sur le côté ce qui donne raison de croire qu’il fut enterré vivant.

Cette phrase nous fait entrer dans l’histoire des épidémies de choléra au Québec où le constat de décès était très aléatoire et il y avait obligation d’enterrer les morts quelques heures après le décès pour contrôler la contagion.

Voici une dernière citation d’Odélie qui me fait particulièrement chaud au cœur :

Après souper Hilaire et Fortunat sont allés préparer une balancigne et nous invitèrent d’aller l’essayer.

Çà me fait chaud au cœur parce que durant mon enfance au Lac St-Jean, ce sont les mots qu’on utilisait, se balancigner dans une balacigne. J’ignore si ces expressions sont toujours en usage ou en voie de disparition. 

Quant au récit du père d’Odélie, il est tout aussi savoureux et instructif. Je me suis arrêtée particulièrement à la partie où il séjourne à La Doré, du 9 au 22 1908. Il s’appelle Télesphore Demers, père (l’Américain de Sanford). Il rend visite à son fils Télesphore Demers, fils, propriétaire du magasin général à La Doré. 

Un autre Télesphore Demers (le grand-père de mon mari) fait parti du récit. Il est propriétaire du moulin à scie du village et il est le neveu de l’Américain. À La Doré pour distinguer les deux cousins, on les nommait Télesphore moulin et Télesphore magasin. On se souvient qu’à l'époque, les mêmes prénoms revenaient fréquemment. Il y avait entre autres une certaine tradition de donner le nom du père à l’un de ses garçons.

Les deux Télesphore devant l'ancien moulin ("moulin" à droite et "magasin" à gauche devant le moulin à scie de La Doré en 1906. Télesphore moulin est en compagnie de sa femme, Démerise Létourneau, et leurs enfants.

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Télesphore Demers (appelé aussi Télesphore "magasin") avec sa femme Lucienne Deschenes et leurs enfants devant le magasin général qu'il possède à La Doré.

Photo, coll. personnelle, famille Demers, Doris Poirier.

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Ce que me frappe particulièrement dans le récit de Télesphore à La Doré, c’est la présence presque quotidienne d’événements reliés à l’Église et aux traditions religieuses. Il faut dire que le magasin de son fils était situé en face de l’église. En voici un exemple :

Juin le 14 le temps est encore beau à huit heures les paroissiens commencent à arriver pour la messe comme on voit partout en Canada, voitures bien montées. Après la messe vente d’un petit cochon à l’encan pour les âmes du purgatoire, voilà qui nous fait rappeler le vrai Canada. 

C’est savoureux. Tout cela pour vous dire  que les notes de voyage d’Odélie Demers et de son père Télesphore m’ont procuré de grandes émotions. Je prends conscience de l’importance de la valise qui m’a été confiée et je vais tenter d’y trouver d’autres petits trésors afin de les partager. 

Doris Poirier

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Note sur le rapport Durham

Dans son article, Doris nous parle du rapport Durham. C'est le rapport de John George Lambton Durham, connu comme Lord Durham, le Gouverneur Général du Canada en 1838. Le gouvernement britannique lui a ordonné de faire une analyse sur les affaires publiques au Canada après la rebellion de 1837 et de faire des recommendations pour améliorer la situation gouvernementale. Le rapport reste toujours tristement célèbre à cause de sa recommendation d'assimiler complètement les Canadiens français dans le monde anglophone. Les deux phrases qui ont le plus irrité les Canadiens français jusqu’à ce jour sont sans doute celles-ci :

On ne peut guère concevoir de nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que celle des descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont conservé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature.

Lambton John George, Lord Durham. Le Rapport Durham: 1839, traduit en français par Denis Bertrand et Albert Desbiens, 1969. (Les Classique Des Sciences Sociales: Chicoutimi, Québec: 

http://classiques.uqac.ca/classiques/Lambton_John_George_Lord_Durham/Le_Rapport_Durham/Le_Rapport_Durham.pdf. 

Paradoxalement, le rapport servit d'augmenter la force de l'intention des descendants du Français de protéger leur culture et leur langue, même à nos jours.

Dennis Doiron


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