A family history blog in French and English

Sanford-Springvale, Maine, Railroad Station, early 1900s. Collections of the Sanford-Springvale Historical Society.

Partie I : De Sanford, Maine à Lévis, Québec

[copyright 2017: Dennis M. Doiron]
Je me suis embarquée le 22 juin pour une promenade au Canada en compagnie de ma sœur Éva.  Nous avons laissé la maison à onze heures et vingt minutes après avoir fait nos adieux à la famille.  Ils nous chargèrent de bons souhaits, après quoi nous nous sommes mises en route.  En se rendant au village, nous avons fait la rencontre de Mlle Rose Parent qui travaille au magasin chez M. Samuel Smith.  Elle nous adressa seulement que quelques paroles pour nous souhaiter un heureux voyage, et de là nous nous sommes embarquées dans les chars électriques. Il était midi dans vingt minutes. Nous fîmes le trajet de Sanford à Springvale dans un quart d’heure.


L'ouverture de la ligne de tramway entre Springvale et Sanford, 27 mai 1893.

Collections of the Sanford-Springvale Historical Society, Sanford, Maine.
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M. George Lizotte
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s'intéressa de notre valise, et à midi nous nous sommes embarquées sur le Portland et Rochester.  Nous étions une vingtaine de Canadiens de Sanford qui se dirigeaient vers le Canada.  Un des nos jeunes Messrs est venu prendre un siège près de nous, tout en nous jetant souvent un oeil, mais pourtant, nous avons fait le trajet jusqu'à Portland sans qu’il nous ait adressé la parole.  
Il ne se présente rien de bien étrange sur la route.  En laissant la station [à] Hollis Center, nous avons contemplé un magnifique champ de blé d’inde décoré du plus beau fantôme, travaillé suivant l’ancienne coutume canadienne -  chapeau d’homme, suspendu à un bâton, ainsi que le costume, servant « d’avis public » à tout ce qui fait partie de basse-cour et qui voudrait s’introduire dans cet immense parterre.
Tout en continuant notre route, nous avons fait rencontre d’un train à la station de Gorham qui contenait un cercueil. Mais, comme le nom de la personne qui y
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La gare ferroviaire de Springvale, Maine, vers 1900.

Collections of the Sanford-Springvale Historical Society, Sanford, Maine.

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était enfermé nous était inconnue, nous y avons prêté moins d’attention, quoique la vue d’un cercueil impressionne toujours.  
Enfin, nous voilà arrivées à Portland. Il est deux heures dans vingt minutes, et il nous faut attendre une heure pour se rendre à la Station Centrale à Portland. Mlle Clarice Porell, ayant été informée que sa tante Delphis Porell était de passage à Portland, est venue faire une petite visite à la station. Après avoir échangé quelques mots, nous nous sommes embarquées de nouveau pour se rendre au central office où il nous y fallait se procurer des tiquets.
Mais à notre grand désappointement, ils nous ont fait débarquer à la petite Portland et Rochester Station tout en nous informant qu’il nous faudrait attendre jusqu'à huit heures du soir. Des Canadiens qui travaillaient sur la ligne nous adressaient la parole tout en ripostant qu’on allait avoir le temps de visiter où on n’allait partir qu’à huit heures et, tout en badinant, ils se sont embarqués sur
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leur char à quatre roues qui fonctionne à bras. Mais j’ai trouvé qu’ils ne paraissaient pas plus indépendants que nous autres car je préférais attendre quelques heures plutôt que de me mettre à l'oeuvre pour me rendre sur un char à bras.  
Voyant qu’on était pour attendre si longtemps, Messrs Lizotte et Brouillard ont pris le parti de se rendre au central office à pied.  Le trajet n’était que d’une vingtaine de minutes de marche. En arrivant, ils nous ont télégraphiés de ne pas se décourager, qu’un train à cinq heures nous emmènerait à la destination. À cinq heures, nous nous sommes embarquées bien contentes de laisser cette belle petite place où il n’y avait que cette belle petite station et quelques petits bateaux sur l’eau pour tout désennuyer.
En arrivant à Portland, nous avons trouvé M. Lizotte s’est occupé de préparer nos tiquets d’excursion, mais comme notre valise était restée à Cumberland Mills et que nous avions préparé
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de prendre le train d’excursion Maine Central, nous étions un peu désappointées. M. Lizotte s’intéressa pour nous autres, il envoya un télégramme à Cumberland Mills de nous envoyer notre valise à Saint-Samuel, Comté-de-Beauce, [maintenant, Lac-Drolet, la Municipalité régionale de Comté du Granit] où nous devions se rendre après avoir été à Sainte-Anne-de-Beaupré.  
Comme il n’y avait plus moyen de songer à prendre le Maine Central, nous avons pris le parti de s’embarquer sur le Grand Tronc. Après avoir consulté M. Carrian, qui était directeur de l’excursion et qui nous avait trompées dans la vente de nos tiquets, il nous a conseillé de s’embarquer avec eux et qu’il nous changerait nos tiquets à Sherbrooke où on nous donnerait un passe pour se rendre à Trinq[-Jonction] sur le Québec Central.  
Il ne faut pas laisser là les quelques heures que nous avons passé à Portland. Á notre grande surprise nous avons eu le plaisir de presser la main de M. Charles Langlais, autrefois commis
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chez M. Lizotte à Sanford, et dont la célébration du mariage avec Mlle Odelie Pelletier avait eu lieu lundi matin, après quoi les jeunes époux s’embarquaient pour voyage de noces au Canada.  Comme M. Langlais et sa dame ne demeuraient à Somersworth[, New Hampshire] que depuis peu, ils étaient heureux de converser quelque temps au sujet de ce qui concernait les nouvelles les plus récentes de Sanford.
Après l’avoir renseigné le mieux possible, je suis allée prendre une marche avec sa dame tandis qu’il était allé fumer le cigare.  Il est venu à notre rencontre avec quelques-uns de ses amis. Croyant devoir lui laisser sa place auprès de sa dame, j’ai pensé préférable d’entrer dans la station, mais ils me firent la cordiale invitation de bien vouloir les accompagner. Je me suis empressée de me rendre à leur invitation car je m’amusais très bien en leur compagnie et, de nouveau, nous nous sommes mis à parler de Sanford. Je crois que nous avons repassé tous les sujets.
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En entrant dans la station, il nous présenta M. Demers, avocat de Somersworth. À peine avais-je fait sa connaissance que nous sommes allés prendre nos sièges dans les chars qui devaient nous conduire à Québec, quoiqu’il nous faille attendre encore une heure. M. Demers est venu prendre un siège près de nous autres tout en nous adressant la parole.  Nous nous sommes très bien amusés jusqu'à ce que le char fut mis en mouvement par la vapeur.
La gare ferroviaire Grand Tronc, située au coin de rues India et Commercial à Portland, construite en 1855, a été détruit en 1902-1903 pour ouvrir la voie à une nouvelle gare en 1903.
Collections of the Maine Memory Network: https://www.mainememory.net/media/images/625/75/5785.JPG
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Afin d'abréger un peu la longueur de la nuit, plusieurs messieurs se mirent à l’oeuvre pour s’organiser une partie de cartes.  Messrs Lizotte, Pelletier, Demers, et une demoiselle de Biddeford, dont j’ignore le nom. Tous le quatre se mirent à jouer « aux quatre sept ». M. Lizotte était accompagné de la jeune demoiselle et se croyant les champions en voyant qu’ils avaient eu l’honneur de faire la première levée sans
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constater qu’elle ne contenait pas un point. À notre grande satisfaction, notre champion M. Lizotte était possesseur d’une petite « chienne », si je puis me servir du mot le plus connu, et comme c’était la première partie, j’ai trouvé que c’était un fait assez remarquable pour l’inscrire dans mes notes de voyage.
Les messieurs, commencant à être un peu ennuyés du jeu de cartes, ils prirent le parti d’aller fumer le cigare. M. Pelletier demeura avec nous autres après nous avoir adressé la parole. Nous avons continué notre conversation jusqu'à ce que, un peu accablé par le sommeil, j’aie pensé me reposer un peu après avoir pris une légère collation. Je m’endormis paisiblement en closant la paupière. Je me trouvai transportée vite à Sanford où j'étais occupée à cueillir des fraises dans notre jardin, mais comme tout change vite dans les rêves, je me réveillai en constatant que nous étions rendus à la station
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de Gorham[, New Hampshire,] et bien accablée par la fatigue et avec tous les désirs de me voir quelques minutes dans mon lit.  
Nos jeunes messieurs  avaient repris leur partie de cartes et avec une ambition qui faisait plaisir à voir. Mais un jeune monsieur, voyant sa demoiselle occupée à jouer aux cartes avec des messieurs étrangers, est venu la chercher pour se reposer. Il a fallu que nos jeunes gens fassent application pour un remplaçant se promettant bien de se procurer un jeune monsieur afin de n'être pas dérangé à l’avenir.
La nuit nous paraissait bien longue. Dès l’aurore du jour,  M. Charles Langlais est venu passer quelque temps avec nous autres tout en nous servant un bon verre du vin que fut accueilli et avalé à la santé des nouveaux maris, M. Langlais et sa dame. Messrs Pelletier et Lizotte passèrent plusieurs heures avec nous autres, tout en nous racontant des bonnes histoires qui trouvent bien
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leur place sur le voyage.  
Plusieurs autres jeunes gens dont j’ignore les noms, mais qui faisaient beaucoup les gamins, se trouvaient sur des sièges près de nous autres et nous adressant souvent la parole. Mais, malgré leur belle façon et leurs magnifiques histoires, nous n’avons pas voulu entamer de conversation avec eux autres, trouvant leur jeu un peu fort.
Ils regardaient à toutes les stations voir s’ils ne verraient pas de demoiselles se promener avec leurs cavaliers sur les parapets comme leur mère leur contait qu’elle se promenait lorsqu’elle était fille avec « leur cavalier ». Depuis si longtemps qu’ils entendaient parler de parapets, ils étaient contents de connaître ce que c’était pour informer leurs bons compagnons qu’ils avaient laissés à Manchester[, New Hampshire].  
En arrivant à Stanfold, ils ont aperçu une pauvre vieille qui se promenait nu pied ne s’occupant nullement de qui passait, mais ils pensaient
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bien que c’était une vieille qui est arrivée de Cuba. Ils voyaient encore le bâtiment dans la rivière Nicolet, mais ils ne craignaient rien, ils pouvaient faire face aux Espagnols. Je crois qu’ils avaient des histoires préparées pour tout le long du voyage. Nous avions bien du plaisir à les entendre parler. Heureusement, qu’ils parlaient bien poliment.
On avait avec nous autres un pauvre vieux qui était d’une extravagance exorbitante, la tête un peu troublée par un verre de whiskey. Il était bien occupé de savoir s’il était sur la ligne de Montréal et, aussi, si on était dépassé les limites des États-Unis. On arrivait à Québec, et il s’informait encore si on arrivait à Island Pond[, Vermont].
Comme on était en route pour Sainte-Anne, nos jeunes messieurs voulaient s’exciter à la dévotion. Ils se mirent à chanter « Daignez Sainte Anne, » mais comme la dévotion ne semblait pas trop les molester,
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ils changèrent leur cantique en chanson. J’aurais bien aimé connaître leurs noms, mais nous ne sommes pas permis l’indiscrétion de leur demander leurs noms. En traversant la rivière Sainte-Julie, ils ont vu le bâtiment le « Maine » qui avait été calé à Cuba par les Espagnoles. Ils voyaient encore les mâts et même les matelots qui étaient encore en mer.
Nos jeunes amoureux, pour se tranquilliser, se mirent à jouer aux cartes ce qui était bien à désirer et, tout en les entendant parler, nous avons découvert que le nom du plus fin était M. Roy. En passant à Methots Mills, nous avons vu Adeline Aubin, autrefois de Sanford.  Nous n’avons pas été capables de lui adresser la parole. Nous l’avons seulement saluée en passant dans les chars.
En se rendant à Saint-Agapit, une jeune enfant de quatre ans, fille de M. Nazaire Bedard fut tuée accidentellement par le train qui nous conduisit.  La tête fut détachée complètement du corps.  Elle était occupée à jouer
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sur la ligne de chemin de fer en compagnie de quelques autres enfants et, d’après ce que nous pouvons juger, elle serait allée pour traverser le chemin en voyant arriver les chars qui allaient à toute vitesse et elle fut frappée à l’instant même.  L’accident est arrivé non loin de la demeure de ses parents qui ignoraient complètement où se trouvait l’enfant lorsqu’ils ont été informés de l’accident.  
Le conducteur, n’aurait rien remarqué sur la ligne, s'aperçut par le mouvement des chars qu’ils étaient passés sur quelques choses d’étrange, s’empressa de faire arrêter le train en disant qu’ils avaient tué quelqu’un et, de suite, on constata ce pénible accident. Les parents de l’enfant n’étaient pas présents pour venir réclamer les restes mortels de ce cher petit être qui comptait déjà de la grande famille des morts.  Tous ceux qui se trouvaient dans les chars ne pouvaient connaître l’enfant lorsqu’une dame
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arriva et leur annonça que c'était sa petite nièce et l’enfant de M. Nazaire Bedard. On s’empressa d’avertir la famille éplorée qui comprenait déjà le malheur qui venait de les frapper en voyant tout le monde accourir pour se rendre au théâtre de l’accident et en remarquant qu’il manquait un membre de la famille.  Jugez de la douleur des pauvres parents en voyant ce petit être qui leur était si cher et qui n’était plus qu’un amas du sang, mais qui, du haut du ciel, priait Dieu pour ses parents désolés.
Son corps fut déposé dans le char de bagage et transporté à la station afin que le juré puisse rendre son verdict qui fut « morte accidentellement ». Nous fûmes arrêtés un quart d’heure sur le lieu de l’accident et rendu à la station.  Nous fûmes encore vingt minutes arrêtées. Chacun sympathisa avec cette bonne famille canadienne que Dieu venait de plonger dans la douleur en leur enlevant cette âme blanche et pure qui fait
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partie des anges au ciel.  
Je n’ai pas vu de près le cadavre car il me faisait frayeur de voir cette petite victime qui était le héros d’une scène si attendrissante que j’en garderai toujours le souvenir et si toutefois je repasse à Saint-Agapit, je me dirai, voilà le lieu où je constatais des accidents, pour ainsi dire, toutes les fois que j'ai eu occasion d'y passer.
Le train se trouvait beaucoup en retard.  Il était dix heures et vingt minutes lorsque l’accident eut lieu et nous arrivâmes à Lévis à onze heures dans un quart. [Note: Un de ces temps doit être en erreur. Sinon, vingt-cinq minutes seulement auraient déroulé du temps de l’accident à l’arrivée à Levis.  Peut-être le premier temps aurait dû dix heures dans vingt minutes.]
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Le Soleil, page 6, 22 juillet 1898, à Québec.

Le lendemain de la drame, ce bref article a paru sur la dernière page du journal Le Soleil. Malgré le fait qu'il décrit - par l'emploie de prénom il - le victime comme un garçon, le compte confirme généralement le témoignage d'Odelie.




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