A family history blog in French and English

Sanford-Springvale, Maine, Railroad Station, early 1900s. Collections of the Sanford-Springvale Historical Society.

Partie 5 : Saint-Fortunat

[copyright 2017: Dennis M. Doiron]
Nous sommes arrivées à huit heures et demie à Saint-Fortunat et nous nous sommes installées chez mon oncle Hilaire Aubin qui demeure au village et, à notre grande surprise, nous avons eu le plaisir de saluer notre cousine, Délienne, épouse de Joseph Lambert de Berlin Falls. Elle était en visite chez ses parents avec sa petite fille Apolline qui est toujours bien fine.  

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À gauche, Oncle Hilaire et Tante Marie Euphrosine Demers Aubin et, à droit, Cousins Joseph et Delienne Lambert, vers 1900.

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Appoline, fille de Delienne Aubin Lambert, vers 1900.

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Après s'être pressé la main, ma tante nous servit un bon souper qui était bien mérité car il commençait à se faire tard.  Après avoir pris des renseignements sur différents sujets qui pouvaient concerner nos parents de Sanford, ils nous informèrent qu’Hilaire [note : c’est le cousin Hilaire, le fils de l’oncle Hilaire] s’était embarqué le matin pour Stanfold pour la

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réception de notre cousine Alphonsine Demers [note : une fille de Évangeliste Demers] qui venait de Lewiston passer des vacances chez ses parents au Canada. Mais voyant qu’onze heures sonnaient et qu’ils n'étaient pas encore de retour, nous avons pris le parti d’aller se reposer un peu vu que nous étions un peu accablées de la fatigue de la voiture. Nos voyageurs sont arrivés. Il était deux heures du matin, mais comme le lit nous paraissait bien bon, nous avons trouvé préférable ne pas le laisser.
Il était bien neuf heures jeudi matin lorsque nous nous sommes levées. En voyant que le soleil brillait, nous nous sommes proposées une partie d’amusement, mais ma tante qui était malade au lit le matin, nous dérangea un peu dans nos calculs. Comme je m’étais procurée des “Little livers pills” [note : Carter’s Little Liver Pills, un produit médicinal américain], à Portland pour la guérison des maux de tête, je lui en donnai deux qui lui firent beaucoup de
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bien, mais qui ne lui donnaient pas la force de se lever immédiatement.  
Voyant qu’elle ne pouvant vaquer à sa besogne, nous avons été obligées de s'intéresser de notre déjeuner et dîner, mais nous nous tirâmes assez bien d’affaire. On avait mis Délienne gouvernante qui nous chargea de laver la vaisselle après quoi nous sommes allées se faire une provision de fraises pour notre dîner. Notre affaire était arrangée d’avance. On ne devait pas faire de grands préparatifs afin d’escompter de l’ouvrage autant que possible.  
À notre retour du champ, nous avons trouvé ma tante debout. Elle avait pris beaucoup de mieux.  Après avoir pris notre dîner, nous nous sommes mises en route pour une visite chez notre grand-père [Simon] Lamontagne qui demeure avec mon oncle Narcisse Girard. Je m’embarquai avec Fortunat et Éva, ainsi qu’Alphonsine firent le trajet avec [cousin] Hilaire, et, comme on aimait visiter son moulin
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à scie qui est à plusieurs milles du village, nous avons pris le parti d’allonger un peu notre route afin de connaître ses biens.
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Cousin Hilaire Aubin, fils d'Hilaire et Marie Aubin, et son fils Roland,
vers 1907, à Biddeford, Maine.
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Nous l’avons trouvé assez bien l’installé et comme nous étions en visite, Hilaire nous introduisit dans son salon qui était fermé à clef. Nous avons constaté que c'était le salon construit avec le plus de commodité qu’on navait jamais vu, puisqu’on trouvait tout ensemble - salon, salle à dîner, cuisine, et chambre à coucher.  Nous avons eu bien du plaisir. Nous avons trouvé son ameublement pas très complet, mais il avait été assez prudent de monter sa maison pour deux. Nous lui avons demandé s’il avait l’intention de prendre des pensionnaires, qu’il nous dit qu’il ne désirait seulement qu’une cuisinière, mais pourtant son ménage était très bien rangé.
Après avoir fait la visite
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de tous les appartements, nous nous sommes remis en route pour se rendre chez mon oncle. En passant [à] pied de chez M. Côté qui demeure voisin de la scierie, nous avons eu le plaisir de saluer Mme Côté qui était un des nos amis de classe.  Comme on n’avait nullement informé chez mon oncle de notre séjour au Canada, nous leur avons procuré une magnifique surprise.
Ils étaient tout occupés à faire la culture du foin près de la maison et tout près du chemin. En voyant ma tante, je la saluai en riant, mais elle ne m’a pas reconnue. Elle se mit à dire, « C’est une Irlandaise, » en voyant que je portais les lunettes, mais comme je semblais les connaître, elle prêta plus d’attention. Aussitôt que nous fûmes dépassé[e]s, elle se mit à dire, « C’est Odélie et Éva. » Ne sachant comment s’expliquer notre arrivée de ce côté avec Fortunat, vu qu’ils ne nous pensaient arrivées au Canada que du matin.
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Oncle Narcisse et Tante Julie Lamontagne Girard, Saint-Fortunat, vers 1900.

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Après leur avoir raconté notre histoire, nous nous sommes mises à parler de Sanford. Nous n’avions pas de temps à perdre car nous avions bien du nouveau à leur informer. Ma tante était si surprise de notre arrivée au Canada qu’elle ne revenait pas et elle me trouvait beaucoup changée avec mes lunettes et, comme il y avait bien cinq ans qu’elle ne m’avait pas vue, j’avais un peu changé depuis.

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Cousines Noella Lamontagne et Marie Anna Girard, fille de Narcisse et Julie, vers 1915.
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Nous les avons trouvés tous bien éveillés ainsi que notre vieux grand-père, quoiqu’il me semblât beaucoup vieilli. Il paraissait encore assez capable et sa vue, son entendement est aussi bon que nous autres jeunes gens, et son discours n’est troublé en rien aussi. Ma tante nous prépara à souper et sans se faire prier, nous prîmes place à la table, ainsi que Fortunat et Hilaire qui nous conduisait. Mais comme Fortunat n'était de passage à Saint-Fortunat que pour quelques jours,
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il se pressait de faire ses visites le soir.
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Grand-père Simon Lamontagne, père de Henriette Lamontagne Demers, vers 1885.
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Nous nous sommes rendus chez notre cousin Arsène Lamontagne. Nous les avons bien surpris eux, aussi, et comme sa dame nous était pour ainsi dire inconnue, nous étions heureuse d’en faire la connaissance tout en constatant qu’elle était bien aimable. Nous avons passé une belle soirée. Nous nous sommes très bien amusés se trouvant plusieurs jeunes gens réunis. Nous avons dansé toute la soirée comme des bons. À onze heures et demie, nous avons pris le parti de retourner chacun chez nous. Comme on s’était installée au village en arrivant, nous y sommes retournés après la soirée.
Le lendemain, nous nous sommes rendus chez mon oncle Joseph Bourassa, toujours accompagné de Fortunat et Hilaire, qui remplissaient la charge de charretier. Délienne, sa petite fille, Apolline, et Alphonsine se rendirent avec nous autres. Après avoir pris le dîner, nous sommes allés prendre un peu d'exercice tout
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en allant manger des fraises qui n'étaient pas en très grandes abondances, et nous avons été dérangés par la pluie, aussi, qui est tombée à verse une partie de l’après-midi.
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Famille Bourassaen, chez  Joseph,à gauche Georges, Delvina avec Wilfrid sur ses genoux, Angélina et 20171002 (1) (1).jpg
Chez Bourassa, sur le chemin d´huitième rang, Saint-Fortunat, vers 1895.
Georges, Tante Delvina Demers Bourassa (la soeur cadette de Télesphore), Wilfred, Angelina avec la poupée, et Oncle Joseph Bourassa.

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Il nous a fallu profiter du premier petit coup de soleil pour se diriger au village chez mon oncle Hilaire Aubin, qui était notre refuge pour tous les soirs. Mais à peine étions-nous en route qu’un fort orage s'abattit sur nous tout le long du trajet. En arrivant à la maison, il nous fallut faire notre lavage. Nos pardessus étaient couverts de boue. Comme ma tante était à se demander ce qu’elle allait nous préparer pour notre souper, nous nous sommes mis à dire ensemble - de la bouillie au lait. Enfin qui fut dit, fut fait. Ma tante nous prépara une bonne chaudronnée de bouillie qui fut avalée en un clin d’oeil.
Après souper, Hilaire et Fortunat sont allés préparer une balancine et nous invitèrent à aller l’essayer. Nous avons
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trouvé qu’elle fonctionnait à merveille mais comme la brunante s'avançait rapidement, il nous a fallu retourner à la maison.
J’ai passé la soirée avec Fortunat et comme c'était la dernière soirée qu’on devait passer ensemble, il nous semblait bon de mettre le temps à profit, ayant plusieurs sujets à traiter et, comme j’avais reçu une lettre de ma sœur Lydia le soir même, je lui confiai ce qu’elle refermait. Les heures s’écoulaient bien vite et on aurait bien désiré pouvoir prolonger notre conversation mais, comme il commençait à se faire tard, il fallait aussi songer à se reposer.
Le lendemain, on se rendit chez mon oncle Narcisse Girard faire une seconde visite comme on leur avait promis de retourner passer la journée de samedi avec eux. Fortunat nous y conduisit avant de se mettre en route pour Dorset. Après nous avoir fait ses adieux, il s’embarqua pour Saint-Hilaire-de-Dorset, malgré
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que le temps ne soit pas très favorable. Mais comme il avait promis à ses frères de retourner le samedi, il ne voulut pas les tromper vu qu’ils avaient beaucoup d’ouvrages sur le moulin à scie.
Après son départ, nous nous sommes mises à l’oeuvre pour faire notre lavage afin de pouvoir aller à la messe le lendemain. Et notre valise qui n’était pas encore arrivée. Nous étions bien découragées et encore plus désappointées, pourtant que nous n’avions pas manqué de faire beaucoup de démarches pour l’avoir. Éva se chargea du lavage et, moi, je fis le repassage, et comme je n’avais pas été prévenue d’un pareil désappointement, je n'étais pas allée faire d’apprentissage chez le Chinois, de sorte que les collets blancs laissaient un peu à désirer.
Nous avons repasser plusieurs sujets pendant la journée. Nous informâmes ma tante qu’on avait trouvé à vendre nos tiquets
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le matin et que mon oncle Hilaire Aubin nous avait bien conseillée de les vendre et passer encore un mois avec eux, après quoi on pourrait se procurer des tiquets d’excursion qui ne se terminaient que le 5 août. Mais, malgré tous les désirs qu’on avait de prolonger notre visite, on se trouvait forcée de refuser toutes les bonnes offres qu’ils venaient de nous faire vu qu’on n’avait pas de linge [de corps].  
Le soir, [cousin] Hilaire est venu à notre rencontre afin de nous ramener au village où on se trouvait près de l’église pour le lendemain.  À notre arrivée chez mon oncle, nous trouvâmes plusieurs jeunes gens du village qui s’étaient rendus nous faire une visite. Nous étions heureuses de pouvoir presser la main à plusieurs anciens amis et compagnons de classe tout en se rappelant les années précédentes. Nous nous sommes très bien amusées. Parmi ces jeunes gens, on remarquait les M. Garneau,
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M. Gosselin et sa sœur, M. Vermette et ses sœurs, ainsi que M. Goulet.
Le lendemain, dimanche, nous nous sommes mises à l’oeuvre de bonne heure le matin pour faire nos préparatifs pour aller à la messe en voyant que le soleil brillait. Aussi, on s’était toilettées des mieux. Nos beaux corps d’indienne qu’on avait très bien lavés et repassés le samedi et que le soleil avait rendu presque blanc, nos jupes bien brossées et nuancées de taches de glaise, nos chapeaux de toilettes qu’il nous avait fallu attacher les plumets avec des épingles pour ne pas les perdre, et la garniture toute changée par le soleil avait emprunté du vernis pour noircir nos bottines.  Voilà en un mot la description de nos beaux atours pour le dimanche matin. On entendait des jeunes gens remarqués que des personnes avaient l’air « chic »  suivant leur manière de parler, mais on s’est bien gardé de nous faire ce compliment !
Tout de
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Une poignée des paroissiens sur le perron de l’église de Saint-Fortunat
comme elle paraissait de 1884 à 1901.  

Photo des archives de la municipalité de Saint-Fortunat, Québec.

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même, nous rendîmes à l’église. En arrivant, nous avons pressé la main à M. Stanislas Laitres, qui demeure sur notre ancienne ferme. Nous avons trouvé qu’il avait beaucoup changé. Il a beaucoup vieilli. Nous assistâmes à la messe qui fut célébrée par le Revd E.O. Plante, et nous avons remarqué que M. Guillaume Gosselin était encore organiste et presque tous les mêmes chantres qui se trouvaient à l’orgue.
Après la messe, nous avons fait la rencontre d’Amanda Laitres, une des mes anciennes écolières et aujourd’hui Mme Cookson. Elle était tellement changée que je ne l’aurais pas reconnue du tout si elle ne m’avait pas été présentée. Nous sommes allées faire une visite au Revd M. Plante qui me trouva bien maigre. Nous ne l’avons pas trouvé aussi éveillé que d’habitude vu que sa santé n'était pas très bonne. Comme le temps était court, nous nous empressâmes de le mettre au courant de tout ce qui concernait nos parents de
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Sanford et nous nous rendîmes chez mon oncle qui nous attendait pour dîner.

Après-dîner, nous sommes allées faire une visite au cimetière où demeurent plusieurs parents et amis. L’épitaphe placée sur le cercueil de notre chère tante Alphonsine nous indiquait bien que c’était là que demeuraient ses restes mortels. Nous avons vu l’endroit aussi où repose les restes mortels de notre vieille grand-mère [Euphrosine] Demers et deux de nos petites sœurs qui venaient d'être transportées dans le cimetière neuf.
La levée du vieux cimetière avait eu lieu le mercredi [,le 22 juin]. Un service anniversaire fut chanté à huit heures après quoi tous les paroissiens se mirent à l’oeuvre. Tous les cercueils furent ouverts et plusieurs personnes étaient encore reconnaissables. Dans les deux cercueils de nos petites sœurs, on ne trouva que les ossements, mais notre vieille grand-mère Demers était aussi naturelle qu’au moment où nous étions allées la déposer sous cet amas de terre le 9 mars 1880 [sic].[Note : la grand-mère Euphrosine Demers est décédée le 5 mars 1890]. Tous ses habits étaient encore tel qu’on
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l’avait mis à l’exception de son suaire.
En ouvrant le cercueil de Cyrille Noel, ils ont remarqué qu’il était tourné sur le côté. Ce qui donne raison de croire qu’il fut enterré vivant. La personne la plus naturelle trouvée dans la levée du cimetière fut le corps de Mme Napoléon Paquette tant qu’à sa personne et ses habits, mais elle avait un morceau de chair d’enlever sur une joue comme si c'eût été taillé au couteau. La plaie avait un pouce carré.
Les travaux durèrent une partie de la journée. Chacun réclama les restes de leurs parents et amis, et ceux qui ne furent pas réclamés, ils les déposèrent tous dans le même cercueil.  Plusieurs vieux cercueils étaient encore sur les lieux et les autres avaient été brûlés. Rien de si émouvant qu’un amas de cercueils, comme celui-ci, tous en flamme.
En revenant du cimetière, nous sommes entrés chez M. Luc Gosselin. Nous les avons trouvés tout bien de bonne humeur, mais comme il était déjà
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une heure assez avancée de l’après-midi, notre visite ne fut pas bien longue.
Le soir, nous avons eu une invitation de se rendre chez M. Louis Fréchette dont plusieurs jeunes gens devaient se réunir. On était bien désireuses de se rendre à leur invitation, mais voyant que nos toilettes laissaient un peu à désirer, nous étions à se demander si on allait refuser, mais voyant que les jeunes Messrs qui nous avaient offert leur compagnie paraissaient désireux qu’on se rende avec eux à la soirée, nous nous sommes rendues à leur demande.
On était au nombre de vingt-cinq jeunes gens dont la plupart nous étaient inconnus, il ne se trouvait que quelques anciens amis. La connaissance fut vite faite, tous nous accueillaient comme d’anciens amis. Je passai la soirée avec un jeune monsieur que j’étais heureuse de revoir après huit ans [d’]absence. Nous nous sommes très bien amusés et il nous faisait beaucoup
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de peine de se voir forcé de laisser Saint-Fortunat pour se rendre à Sanford après avoir reçu une invitation pour aller aux noces lundi et mercredi. Mais, pourtant, il nous fallait refuser tout en leur présentant nos plus cordiaux remerciements pour la chaleureuse invitation que nous venions de recevoir.
Après la soirée, nous nous rendîmes chez mon oncle Hilaire Aubin au village. Il était une heure du matin. Comme c’était notre dernière soirée, nous en avons profité. Nous étions bien contentes de notre soirée ou, plutôt mieux, de toute notre promenade, mais regrettant bien de la voir terminer. Il nous était impossible de différer plus longtemps puisque nos tiquets finissaient le mardi 12 juillet.
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